J.O. Numéro 296 du 22 Décembre 1998       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 19392

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Avis rendus par le Conseil d'Etat sur des questions de droit posées par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel (1)


NOR : CETX9803330V


Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 9e et 8e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 9e sous-section, de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 8 juillet 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 18 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Rennes, avant de statuer sur les demandes de la Société d'exploitation de la clinique Ker-Lena tendant à la restitution des cotisations de taxe sur les salaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1992, 1993, 1994 et 1995, à concurrence, respectivement, de 27 641 F, 69 218 F, 27 931 F et 25 471 F, et à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 100 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si, en vertu des dispositions combinées de l'article 231 du code général des impôts et des articles 141 de l'annexe II et 51 de l'annexe III à ce code, la répartition des rémunérations individuelles entre les tranches d'imposition prévues au 2 bis de l'article 231 doit se faire avant ou après application du rapport existant entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'article 70 du décret no 48-1986 du 9 décembre 1948 ;
Vu l'article 39 de la loi no 52-401 du 14 avril 1952 ;
Vu l'article 2 de la loi no 56-1327 du 29 décembre 1956 ;
Vu l'article 39 de la loi no 66-10 du 6 janvier 1966 ;
Vu l'article 1er de la loi no 68-878 du 9 octobre 1968 ;
Vu les articles 1er et 6 de la loi no 68-1043 du 29 novembre 1968 ;
Vu l'article 18 de la loi no 93-1353 du 30 décembre 1993 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret no 63-766 du 30 juillet 1963, modifié par le décret no 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987, notamment son article 12 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Goulard, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
1. Aux termes du premier alinéa, première phrase, du 1 de l'article 231 du code général des impôts : « Les sommes payées à titre de traitements, salaires, indemnités et émoluments, y compris la valeur des avantages en nature, sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4,25 % de leur montant, à la charge des personnes ou organismes - à l'exception des collectivités locales et de leurs groupements, des services départementaux de lutte contre l'incendie, des centres d'action sociale dotés d'une personnalité propre lorsqu'ils sont subventionnés par les collectivités locales, du centre de formation des personnels communaux et des caisses des écoles - qui paient des traitements, salaires, indemnités et émoluments, lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. »
La deuxième phrase du premier alinéa du 1 de l'article 231 dispose que « l'assiette de la taxe » due par cette seconde catégorie de redevables « est constituée par une fraction des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant », au titre de l'année civile précédant celle de leur paiement, « entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total ». Les troisième et quatrième phrases du même alinéa précisent, respectivement, que « le chiffre d'affaires qui n'a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 % au moins de son montant, ainsi que le chiffre d'affaires total mentionné au dénominateur du rapport, s'entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée » et que « le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné au numérateur du rapport s'entend du total des recettes et autres produits qui n'ont pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ».
2. Le 2 bis (premier alinéa) de l'article 231 dispose que le taux de la taxe sur les salaires, de 4,25 %, est porté à 8,50 % pour la fraction des rémunérations individuelles annuelles comprise entre 32 800 F et 65 000 F et à 13,60 % pour la fraction excédant 65 600 F ; ces limites, qui s'appliquaient aux rémunérations versées depuis le 1er janvier 1979, ont été relevées chaque année, de 1989 à 1993, dans la même proportion que la limite supérieure de la septième tranche du barème de l'impôt sur le revenu ; elles suivent, depuis 1994, les mêmes variations que celles de la limite supérieure de la première tranche de ce barème ; les montants obtenus sont arrondis, s'il y a lieu, à la dizaine de francs supérieure.
Les 2 bis (second alinéa) et 5 de l'article 231 énoncent, le premier, que les taux majorés de la taxe sur les salaires « ne sont pas applicables aux traitements, salaires, indemnités et émoluments versés par les personnes physiques ou morales, associations et organismes domiciliés ou établis dans les départements d'outre-mer », le second, que le taux de la taxe, de 4,25 %, « est réduit à 2,95 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, et à 2,55 % dans le département de la Guyane ».
3. Les dispositions précitées de l'article 231 du code général des impôts sont principalement issues :
a) En ce qui concerne l'institution d'une contribution assise sur les traitements, salaires, indemnités et émoluments :
- de l'article 70 du décret no 48-1986 du 9 décembre 1948, portant réforme fiscale, qui avait prévu que, « jusqu'à une date fixée par décret » et sous réserve des règles spéciales qui pourraient être prévues aussi par décret en ce qui concerne certaines professions, et notamment celles qui relèvent du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale, ces rémunérations donneraient lieu, de la part de tous les employeurs, à un « versement forfaitaire » de 5 % au profit du Trésor ;
- du IV de l'article 39 de la loi de finances pour l'exercice 1952, no 52-401 du 14 avril 1952, qui a conféré un caractère permament à la perception de cet impôt ;
- et du 1 de l'article 39 de la loi no 66-10 du 6 janvier 1966, qui lui a donné l'appellation nouvelle de « taxe sur les salaires » ;
b) En ce qui concerne la détermination des redevables de cette taxe, tels que définis aujourd'hui par les dispositions précitées du premier alinéa, première phrase, du 1 de l'article 231 du code général des impôts : du II, a, de l'article 1er de la loi no 68-1043 du 29 novembre 1968 relative à diverses dispositions d'ordre économique et financier, dont le I n'a supprimé cette taxe, pour les rémunérations versées à compter du 1er décembre 1968, qu'en ce qui concerne les personnes ou organismes dont le chiffre d'affaires est, en totalité ou pour 90 % au moins de son montant, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ;
c) En ce qui concerne l'« assiette de la taxe » maintenue à la charge des personnes ou organismes payant des salaires, traitements, indemnités ou émoluments qui soit ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, soit n'y ont pas été soumis sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations, à concurrence seulement de la partie des rémunérations versées, « déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant » au titre de l'année civile précédant celle du paiement « entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total... » :
- de la seconde phrase du même II, a, de l'article 1er de la loi du 29 novembre 1968 ;
- et des dispositions, de caractère interprétatif, figurant dans les deux dernières phrases précitées du premier alinéa du 1 de l'article 231 du code général des impôts, ajoutées à celui-ci par l'article 18 de la loi de finances rectificative pour 1993, no 93-1353 du 30 décembre 1993 ;
d) En ce qui concerne les taux de la taxe sur les salaires : de l'article 1er de la loi no 68-878 du 9 octobre 1968, qui, après que le IV, 1o, de l'article 2 de la loi no 56-1327 du 29 décembre 1956 eut substitué au taux unique de 5 % du versement forfaitaire un barème progressif comportant trois taux de 5, 10 et 16 %, a ramené ces taux, depuis lors inchangés, à 4,25 %, 8,50 % et 13,60 %.
4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 novembre 1968 que l'intention du législateur a été, en décidant de supprimer la taxe sur les salaires qui était due par les entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée sur la totalité ou la quasi-totalité de leur chiffre d'affaires et de réduire le poids de cette taxe pour les personnes ou organismes dont une partie seulement du chiffre d'affaires est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, de dispenser les unes et les autres d'une charge qui, n'étant pas déductible, comme l'est la taxe sur la valeur ajoutée, des opérations faites à l'exportation, les défavorisait par rapport à leurs concurrentes des pays étrangers qui n'en supportent pas l'équivalent.
Il ne résulte, en revanche, ni des termes du II, a, de l'article 1er de la loi du 29 novembre 1968, ni des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de cette disposition, que le législateur ait entendu, en outre, soustraire à la pleine application des taux majorés de la taxe sur les salaires, dont l'article 1er de la loi du 9 octobre 1968 précitée venait de confirmer l'existence et de modifier les pourcentages, les personnes ou organismes dont le chiffre d'affaires n'est que partiellement soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque le montant des rémunérations individuelles qu'ils versent excède les limites faisant jouer ces taux majorés, en ne les appliquant, le cas échéant, qu'à la fraction de ces rémunérations qui correspond au rapport entre le chiffre d'affaires non passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total, et leur accorder ainsi un avantage dont ne peuvent, par hypothèse, bénéficier, lorsqu'ils paient des rémunérations individuelles de même montant, les personnes ou organismes dont toutes les activités ou opérations sont placées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ou en sont exonérées.
Les auteurs de la loi du 29 novembre 1968 ont pris soin, au contraire, de préciser, au début du II de l'article 1er de celle-ci, que la taxe sur les salaires maintenue à la charge des personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations resterait « due dans les conditions fixées par la législation en vigueur avant la promulgation de la présente loi », et à l'article 6 de la loi, que celle-ci n'apportait « aucune modification aux textes législatifs et réglementaires en vigueur non mentionnés dans la présente loi et qui se réfèrent aux taxes supprimées ou modifiées... ».
5. Il découle de ce qui précède que la taxe sur les salaires effectivement due par les personnes ou organismes domicilés ou établis en France métropolitaine, dont les opérations ne sont que partiellement soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être calculée en répartissant d'abord, s'il y a lieu, le montant total de chacune des rémunérations individuelles qu'ils ont versées entre les deux premières ou entre les trois « tranches » du barème progressif prévu par le 2 bis de l'article 231 du code général des impôts, puis en n'appliquant les taux respectifs de 4,25 % et 8,50 %, ou de 4,25 %, 8,50 % et 13,60 % qu'à la fraction des deux ou des trois sommes résultant de cette répartition qui correspond au rapport existant, au titre de l'année civile qui a précédé celle du paiement de ces rémunérations, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total, tels que définis par les dispositions précitées, de caractère interprétatif, des deux dernières phrases du premier alinéa du 1 de l'article 231, enfin, en totalisant les deux ou les trois montants de taxe ainsi obtenus. Il revient au même d'effectuer le calcul en appliquant les taux respectifs de 4,25 % et 8,50 %, ou 4,25 %, 8,50 % et 13,60 % aux deux ou aux trois sommes résultant de la répartition des rémunérations individuelles versées entre les deux premières ou entre les trois « tranches » du barème progressif de la taxe, puis en ne retenant du montant total de la taxe ainsi obtenu que la fraction correspondant au rapport ci-dessus indiqué.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Rennes, à la Société d'exploitation de la clinique Ker-Lena et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.


(1) Avis no 197839 du 23 novembre 1998.